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EDITORIAL N° 56 Le difficile voyage entre la sensiblerie et la sensibilité

November 04, 2018 4:05 PM | Benoît Raynal (Administrator)

    « Il est plus commode de prendre ses faiblesses pour des vertus, surtout quand cela répond à l'idéal d'une époque et comporte de multiples avantages »
    René LAFORGUE
    (« Psychopathologie de l'échec » Payot)

Louis Velluet

    Compassion et empathie sont deux termes très souvent associés dans les écrits ou les discours alors qu'ils désignent des états psychiques très différents. La confusion règne dans beaucoup d'esprits à leur sujet et le séminaire a du surmonter cette difficulté pour avancer dans sa réflexion.
    Les définitions sont pourtant claires et ne devraient laisser place à aucune ambiguïté. Souffrir avec quelqu'un n'a jamais soulagé personne. Se laisser bouleverser par le spectacle de la souffrance de l'autre ne devrait pas être confondu avec cette capacité extraordinaire du cerveau humain qui nous permet, à l'aide de nos neurones-miroirs, d'entrer en résonance avec le sujet qui est en face de nous et d'éprouver ce qu'il ressent pour mieux le comprendre. Souffrir passivement en face d'autrui ne présente en effet aucune parenté avec ce processus salutaire qui nous permet de prendre du recul et de trouver un moyen de le soulager.
    Les raisons de la confusion résident sans doute dans le fait que nous pouvons nous laisser surprendre. L'analyse exacte de ce que nous ressentons dans l'immédiat de la relation médicale ne va pas de soi. Il faut souvent se donner un long temps de réflexion pour comprendre que ce que l'on imaginait être une disposition thérapeutique positive cachait en réalité le débordement de notre réservoir émotionnel mal contenu. Nous avons tous expérimenté également le fait que les deux états peuvent se succéder dans le temps, ceci dans n'importe quel ordre, et qu'ils sont parfois très intriqués.
    D'autres facteurs, extérieurs à la relation, peuvent intervenir, le climat culturel par exemple. En dépit de toutes nos précautions nous pouvons être victimes de nos conditionnements inconscients. La plupart des religions ont utilisé cette notion de compassion pour faire passer leur message d'impuissance. Le bouddhisme se réfugie dans la dissolution de tous les désirs et donc de tous les troubles qu'ils peuvent engendrer. Plus près de nous les religions chrétiennes enseignent que tout ira mieux au Paradis. En attendant, supportons nos douleurs et faisons mine de partager celles des autres pour dissimuler notre propre peur.
    Si notre analyse peut sembler brutale elle s'appuie néanmoins sur la clinique la plus quotidienne. Répétons-le : être envahi par la pitié n'a jamais aidé autrui à surmonter sa douleur, ce qui est pourtant le propre de notre fonction. En fait, si l'on prend un peu de recul, il apparaît que la compassion peut être envisagée comme le réveil en nous de nos peurs ou de nos propres souffrances, dissimulées mais jamais apaisées. En rester à elle annule toute possibilité de rencontrer l'autre.
    Pour parler en termes de psychologie nous aurions donc affaire à un phénomène d'identification où nous attribuerions à l'autre nos propres ressentis sans possibilité de recul. Nous penserions en quelque sorte à sa place. A l'inverse, l'empathie à cette propriété extraordinaire de nous permettre de nous sentir à la fois semblables et différents.
    Reste une difficulté majeure : les capacités empathiques ne sont pas données à tous d'emblée et dans les mêmes proportions. Pour qu'elles se développent, et donc pour devenir un médecin de famille au sens où nous l'entendons, il faut avoir décelé dans nos profondeurs les restes des deux principales motivations pathologiques de notre vocation. Il faut avoir identifié les culpabilités enfouies et le besoin frénétique de réparer qu'elles suscitent parfois. Il faut avoir dompté les accès de toute-puissance qui peuvent nous prendre périodiquement, d'autant plus intenses qu'ils cachent souvent la panique inavouée de l'inconnu mortifère non maîtrisable.
    Toutes deux s'abritent trop souvent derrière la façade trompeuse de la compassion.
    C'est seulement après les avoir reconnues et dépassées que nous pourront laisser croître en nous et jouer l'empathie, cette extraordinaire faculté qui constitue une spécificité de notre espèce et conditionne sa survie.

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